Retour au bercail, AÏE!
Après deux ans de vie en Chine, le retour à Yaoundé n’est pas de tout repos. Je me sens étrangère dans mon pays. Pourtant, partir pour l’inconnu, laisser sa famille, ses amis et ses repères, pour un pays lointain dont on ne maîtrise ni la langue ni les usages ; me semblait être la partie la plus difficile de l’expatriation. Aujourd’hui, je reviens au Cameroun, à Yaoundé, cette ville où j’ai vécu pendant 18 ans, où résident ma famille et mes amis, et où j’ai établi un réseau professionnel. La grande partie de ma vie est ici, alors dites-moi pourquoi je me sens complètement larguée? Je perds pied dans cette jungle dont j’ai perdu les codes.
Ici, mais ailleurs
Six mois avant mon retour effectif, mes pensées n’étaient déjà plus à Shanghai. Comptant les jours qui me séparaient de ma terre natale, je planifiais et concevais sans arrêt l’après-Chine. Les plats que j’allais retrouver, les amis qui m’avaient tant manqués, la famille qui me réclamait. J’avais hâte de rentrer, j’avais hâte d’être à ce moment précis où je devais prendre l’avion pour rentrer chez moi.
Aujourd’hui, j’y suis. Je suis là où je voulais être et pourtant j’envisage de repartir. Des sentiments d’incompréhension, de déphasage et d’ennui me gâche ma joie des retrouvailles. Cette nouvelle ancienne vie me déstabilise. Je dois réapprendre à gérer les kankan connexions internet, à faire gaffe en traversant la route. J’ai manqué plusieurs fois de me faire embrocher par des moto-taxis qui slalomaient sur la chaussée. En plus, je dois me rappeler sans cesse :
- de sortir de chez moi avec ma carte d’identité (juste une photo dans mon téléphone ça ne compte plus),
- de distribuer des bonjour bonsoir à gauche et à droite,
- de m’agripper à mon téléphone ou de le dissimuler et de ne surtout pas le sortir pour répondre à un appel lorsque je suis exposée. Des réflexes anti-vol que j’ai perdu.
Je remarque tout cela maintenant
Je dois me réhabituer à poser mes pieds par terre pour crapahuter sur les collines d’Ongola. Autrefois, mes pieds épousaient instinctivement les formes du sol et j’arrivais à esquiver les crevasses sans avoir à lever les yeux de mon téléphone. Aujourd’hui j’arrive à peine à faire deux pas sans trébucher sur de la caillasse. Je suis sidérée de l’état calamiteux de nos routes. Ce sont des nouvelles routes ou bien c’était pareil avant?
Je remarque l’état de délabrement des taxis et la crasse de leurs chauffeurs. La puanteur des poubelles qui vomissent allègrement leurs détritus sur les trottoirs de la ville. Je ne vois plus que la poussière, l’anarchie et l’incivisme criard des camerounais.
J’ose à peine sortir sans la garantie de prendre un taxi course ou un dépôt. L’idée de me retrouver serrée, en sandwich entre trois inconnus suant à l’arrière d’un taxi m’horripile. Des détails dont je faisais fi il y a encore deux ans. Ainsi, Shanghai m’aurait changée?
Incompréhension totale
Le plus difficile est d’essayer de faire comprendre aux autres ce regard sans cesse désapprobateur et dénigrant. Ils auront tôt fait d’assimiler cela à une lubie – le Syndrome du Mbenguiste.
Tu te sens hein? Mbeng t’a transformée en petite bourgeoise? Tu ne bois plus l’eau du robinet? Tu bois l’eau chaude à midi, c’est la sorcellerie ? La Chine par ci, la Chine par là… On va encore respirer?
Mon entourage actuellement
On m’avait tenu informée de la dépression dont pouvaient souffrir certains expatriés qui retournaient dans leur pays.
Aka! Ça se sont les problèmes des blancs! Comment peut-on déprimer en rentrant dans son propre pays? L’endroit où on a grandi? Me disais-je avec l’assurance de la bêtise naïveté jonchée d’un sourire niais. Entre temps, j’ai perdu ce sourire ignare, je vous rassure.
Aujourd’hui je comprends mieux. Ma santé mentale ne tient qu’à un fil.
Comment s’épargner le pire?
1- Arrêter de tout comparer
J’avais effectivement cette tendance à vouloir tout rapporter à ma vie de Shanghai et devinez quoi…ce n’était jamais assez bien. De quoi saper votre moral une bonne semaine, donc dorénavant, on évite. Et on se laisse le temps d’apprécier l’instant présent.
2-Rester en mouvement
Encore heureux que je me sois préparée un minimum. Je m’étais faite toute une planification, un organigramme avec une série de projets, d’activités et de visites à faire pour amorcer mon retour, professionnel entre autres. La transition a commencé à se mettre en place des mois avant mon retour. De plus, cela m’a tenu bien occupée et mentalement mieux préparée. Avoir des perspectives prometteuses s’est révélé être le meilleur moyen de rester positive et concentrée sur l’avenir.
3- Relancer son réseau
J’ai toujours gardé un lien avec ma famille, mes amis et mes anciennes relations professionnelles. Malgré tout, dès mon arrivée, je me suis sentie seule, déconnectée, en déphasage avec la majorité de mon cercle relationnel. Effectivement en deux ans, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Les copines sont devenues des épouses et/ou des mères. Elles se sont faites de nouvelles copines ou ont décroché des postes à responsabilités et par conséquent, ont moins de temps à consacrer à nos retrouvailles. Bref en deux ans, les autres aussi ont évolué. Il faut s’attendre à ce que les centres d’intérêt et les priorités aient changées de tous les côtés. Et cela n’a rien de dramatique : C’est la vie!
4- Se faire plaisir
S’il y a bien une chose qui m’a réconfortée depuis mon retour au Cameroun, c’est de me retrouver plongée dans le microcosme camerounais. Les sonorités linguistiques, le café UCCAO, les MAMBOs, le TOP pamplemousse et les autres spécialités du terroir. Retrouver des visages familiers, visiter et découvrir les nouveaux coins prisés de la capitale. J’ai beau avoir une aversion pour les espaces grouillants et bruyants, être de nouveau entourée de têtes noires et crépues, ça m’a fait drôlement du bien. Ne plus être l’identité remarquable. Se fondre dans la masse, c’est reposant finalement.
Rentrer s’installer au pays après des années d’expatriation, d’habituation à un nouveau style de vie, n’est pas aussi simple que je me le figurais. Une préparation du terrain s’impose en aval.
à Shanghai, je pensais sans cesse au Cameroun ; au Cameroun je pense sans cesse à Shanghai.
Dr K.
Ça aussi c’est normal. C’est l’esprit humain qui voit toujours l’herbe plus verte ailleurs ; et qui tient à ses marqueurs géo-spatiaux les plus récents. En réalité, peu importe l’endroit où l’on se trouve, je pense que le plus important finalement, c’est de ne jamais manquer de perspectives.
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