Travailler en Chine : le système 9/9/6
Pour ceux qui tombent à tout hasard sur ce billet, je suis une jeune Camerounaise qui vit et travaille en Chine, un pays où il est normal, voire même très bien vu de travailler le plus longtemps possible. On appelle ça le système 9/9/6 qui signifie : travailler de 9h du matin à 9h du soir, 6 jours par semaine. Même si votre contrat de travail stipule que vous êtes tenu d’être au bureau entre 9h du matin et 5h du soir de lundi à vendredi, pour le chinois lambda, ce sont juste des mots sur du papier. La loi du terrain est tout autre; être bien vu dans sa compagnie est quelque chose de primordial pour conserver son travail.
À qui mieux mieux
Travailler 12 heures par jours, 6 jours par semaine, on est d’accord que c’est une charge de travail excessive et malgré tout, il en faut peu pour que vous vous fassiez virer ou pour que votre contrat ne soit plus renouvelé ici en Chine. Les employés sont remplacés en un claquement de doigts, à vrai dire l’offre est tellement abondante, que la demande se fait sélecte. Il arrive même que des contrats soit rompus juste par envie d’essayer autre chose, comme on changerait de chemise. Ainsi les chinois se montrent féroces et multi-tâches sur les services rendus, ça se joue à qui mieux mieux.
Les Chinois démontrent leur efficacité et leur dévotion à l’entreprise, en se conformant docilement au sytème 9/9/6. J’ai été surprise lors de ma première semaine de travail en Chine, d’être toujours la première à dire Au revoir à mes collègues, qui ne répondaient jamais d’ailleurs (aujourd’hui je comprends pourquoi). Ils semblaient ne jamais être pressés de rentrer chez eux et voyaient d’un mauvais oeil le fait que je rentre si « tôt ».
Accord tacite de compétitivité
Un jour j’ai décidé de ne plus être la première à partir, mal m’en a pris parce que ce jour je suis rentrée chez moi à 21h30 et je n’étais que la deuxième. La première étant la secrétaire, la seule mère de famille de l’équipe. Les autres collègues qui ne sont pas encore parents restent parfois jusqu’a 23h au travail. Et même lorsqu’ils ne travaillent plus depuis longtemps, ils restent à jouer des jeux videos ou regarder des séries télévisées sur leur ordinateur de service. Finalement, j’ai compris qu’il s’agit de sauver les apparences. Ce jour a été pour moi le premier d’une longue série.
Une perpétuelle surenchère subsiste dans ce monde du travail, cela est visuellement et énergiquement épuisant pour nous autres Wàiguó rén (外国人= étranger). Européens, Africains, Américains, aucun ne fait le poids dans ce jeu de Quick-change*, nous sommes rarement conditionnés pour ces rôles d’équilibristes. Entre dévotion, simulation et compétition, il faut avoir de la pratique pour trouver le juste milieu. On est vite happé par ce tourbillon de sur-sollicitation et on fini souvent par laisser tomber le masque en proférant cette simple phrase : « J’ai une vie en dehors du boulot« .
Plus tard, une collègue avec qui je me suis liée d’amitié a lâchée dans une discussion :
En effet, dans ce contexte ultra compétitif, les employés n’osent parler d’heures supplémentaires et de la rénumeration qui s’en rapporte, ce serait mal vu et en plus, le système aura tôt fait de vous remplacer.
Jack Ma, le célèbre créateur de Alibaba* a déclaré, en defendant le système 9/9/6, que c’était la rançon du succès. Ne pas consentir à fournir gratuitement plus d’efforts et de temps pour le succès de sa compagnie, a valu aux étrangers cette étiquette de lents et paresseux.
Face à ma collègue, j’avais juste écarquillée les yeux tellement cela me paraissait absurde. Un préjugé qui a la peau dure en Chine, vu qu’elle n’est pas la seule à le penser. Je lui ai juste rétorqué qu’il était nécessaire pour notre santé mentale de s’accorder une vie sociale en dehors du travail. Je lui parlais des burn out* qui se faisaient légion en entreprise. Néanmoins, elle n’était toujours pas convaincue de la nécessité de cette vie sociale. En Chine, les données sont autres. C’est aux grands-parents de s’occuper de leurs petits enfants et du foyer (ménage, cuisine…) pendant que les deux parents travaillent à temps perdu pour assurer un digne gîte et couvert à toute la famille. Quand aux plus jeunes, ils se consacrent entièrement à leurs études ou leurs emplois. Ils peuvent toujours profiter des jours fériés pour penser à s’amuser.
Chinois ou pas, tout le monde au pas
Aujourd’hui je comprends mieux l’engouement des Chinois autour de leurs jours de congés. Ils organisent des voyages dès qu’il y a 3 jours de congés alignés. Voir des milliers de personnes qui se ruent sur les moyens de transport et envahissent les lieux touristiques, je vous le garantis c’est quelque chose d’hyper impressionnant. Par contre, je ne comprends toujours pas pourquoi ces jours fériés sont rattrapés par la suite. A quoi bon avoir un jour férié un Mardi, si c’est pour venir compenser le dimanche suivant ?
Tout naturellement nous recevions des injonctions par mail, par message texte ou par appel téléphonique de la hiérarchie, qui tenait à bien nous rappeler que le rattrapage était à prendre trés au sérieux par tous, parceque nous autres étrangers de la compagnie, avions du mal à adhérer au concept. Chinois ou pas, on rattrape TOUS, les jours fériés. Je ne vous raconte pas la tête que je faisais après être venue travailler deux dimanches de suite pour rembourser les 3 jours accordés pour la fête des bateaux dragons, mais bon ! My Game My Rules comme dirait le chanteur americain Slamboree. En d’autres termes : En Chine, fait comme les Chinois.
Quick-change* terme anglais signifie: “changement rapide”. Les artistes qui font du “quick-change” sont des transformistes dont le numéro de spectacle consiste à changer très rapidement de costume.
Alibaba* (Alibaba.com) est un site internet chinois de commerce électronique. Il est le plus important site de vente en ligne à destination des entreprises au niveau mondial.
burn out* est un état d’épuisement physique, émotionnel et mental lié à une dégradation du rapport d’une personne à son travail.
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