Dragons en berne
Vendredi 11 Juin 2020, un vent d’effroi frappe le pays. Je me vois déjà de nouveau confinée, obligée de sursauter à la moindre quinte de toux. Pour beaucoup c’est le début de la deuxième vague tant annoncée.
Apparemment les épidémies virales se pointe toujours en deux temps, une première vague pour annoncer la couleur et une deuxième, un peu moins effarouchée, pour ravir les quelques bienheureux qui avaient échappés à la première vague. Sur toute l’étendue de la République Populaire de Chine, on guette la moindre petite nouvelle provenant de Beijing, on scrute le moindre signe de contamination, on s’épient, on se surveille.
Branle-bas de combat à Beijing
Après deux mois d’accalmie, le compteur des contaminations a repris du service et affiche 328 nouveaux cas à la date du 30 juin 2020. Les choses se sont passées tellement vite (à la Chinoise quoi).
Vendredi soir, une chaine de télé annonce deux cas de Covid-19 détectes dans le district de Fengtai pas loin de la capitale chinoise Beijing. Des enquêtes sont menées.
Samedi matin, les infos parlent d’une mise en quarantaine d’un marché de poissons et autres produits de — le seul point commun entre les nouveaux cas. Les infos soulignent bien le fait que les poissons mis en cause sont importés. C’est chaud pour le Saumon.
Six, sept, huit, puis une cinquantaine de personnes sont diagnostiquées positives au Covid 19. Les minutes passent, les chinois et nous autres expatriés sommes tous scotchés aux infos. La peur règne dans les collocations. Non, pas encore, pas encore la quarantaine, la distance, la méfiance…
On commençait à peine à tolérer une présence à moins d’un mètre de nous, mais heureusement le supplice n’a pas duré bien longtemps et la riposte chinoise ne s’est pas faite attendre. Tout de suite, ça a été le branle- bas de combat, le chef des armées du Parti (ou un titre plus ou moins équivalent) a tenu une conférence de presse le samedi midi, au cours de laquelle il somme le maire de ce district de prendre les mesures qui s’imposent pour étouffer ce foyer qui couve en sa demeure.
La force de frappe de la Chine
Il faut vivre en Chine pour mesurer la portée d’un ordre du parti, bref les gars …ça ne rigole pas! Le ton est donné et c’est la deuxième déclaration de guerre contre Corona. Le maire de la ville s’exécute et fait boucler tout le périmètre. Toute sa province est de nouveau mise en quarantaine, tout est fermé, ledit marché, les écoles, les lycées, les commerces qui venaient tout juste de reprendre du service. L’arsenal de guerre est déployé, l’artillerie lourde – kits de dépistage dernière génération, renforts en unités médicales mobiles, cabines de dépistage pressurisées, échantillonnage de détection d’acide nucléique et dépistages massifs. Tout y passe.
Beijing emboîte le pas sans plus tarder et renforce la surveillance à tous ses pôles d’entrées, les métros et autres moyens de transport sont désinfectés et les espaces publics scrutés à la loupe.
L’histoire se répète
Deux semaines à peine après l’alerte, 7 millions de personnes ont déjà passé un test d’acide nucléique à Beijing. ça ne rigole vraiment pas, même Corona doit être essoufflé de cette chasse au virus qui ne lésine pas sur les moyens. Et pour cause, ce n’est pas le premier virus que la Chine ait connu. Déjà 2000 ans avant J.C, les épidémies faisait tellement rage dans l’empire du milieu, qu’il y avait des rituels et des manifestations mises en place par les populations pour éloigner les épidémies et les mauvaises esprits auxquels ont attribuaient beaucoup de maladies. Ainsi est née l’actuelle fête du double cinq ou fête des bateaux dragons.
Et voici venue la fête des épidémies
On ne croirait pas si bien dire, car cette année le festival des bateaux dragons encore appelé Fête du double cinq, une fête censée marquer le retour de l’été et des épidémies, se manifeste avec une légère pointe d’ironie. Cette année, le double cinq va coïncider avec un dernier soubresaut de l’épidémie à Covid-19 qui pour le coup va refroidir bien des ardeurs.
Le cinquième jour du cinquième mois du calendrier lunaire (qui correspond au 26 juin de cette année) est le jour de la fête traditionnelle chinoise encore appelée « duān wǔ jié » qui veut dire le « le commencement ». Il y a different discours relatant l’origine de cette fête, mais la majorité des chinois s’accordent à dire qu’elle serait étroitement liée à la commémoration du célèbre poète et ministre chinois Qu Yuan (屈原) qui se serait donner la mort en se noyant dans une rivière.
Ce dernier aurait été le ministre préféré et meilleur ami de l’Empereur de cette époque. Suite à un désaccord, pour éviter de mettre à mort son ami, l’Empereur l’aurait exilé dans un village lointain où il finira par mettre fin à ses jours. Les villageois qui appréciaient fortement la présence de cet illustre poète parmi eux, ne pouvaient se résoudre à le voir mourir. Ils auraient sautés dans des barques, au milieu de la nuit, et parcourus la rivière de long en large pour essayer de le retrouver et le sauver.
Au final, ne pouvant retrouver son corps, ils jetèrent dans la rivière de grandes quantités de boulettes de riz collant emballées dans des feuilles de bambous, afin d’empêcher les poissons de se nourrir de son corps. Depuis ce jour, à la date du double cinq, les chinois organisent des compétitions de bateaux dragons et consomment un mets spécial fait à base de boule de riz qu’ils agrémentent avec de la viande de porc ou du haricots rouge, selon les régions en Chine.
Un invité indésirable
Les préparatifs se sont fait tous timides cette année. Pas de bousculades dans les supermarchés ou de surpopulations dans les transports. Avec une menace épidémique à droite et un vent de confinement territorial à gauche, les Chinois ne savent plus sur quel pied danser. Eux, qui d’ordinaire se déplacent en masse pour peu qu’ils aient trois jours de congés. Cette année, ce sera chacun chez soi. L’an dernier encore, en tant qu’expatriés en Chine, on se devait d’assister au moins une fois à ces fameuses compétitions de bateaux dragons. Des équipes accouraient du monde entier pour participer à ces prestigieuses courses de bateaux aux têtes de dragons plus chatoyantes les unes que les autres.
Actuellement, il ne nous viendrait même pas à l’esprit de faire le déplacement pour ces provinces où les celebrations se font les plus spectaculaires. Je m’étais pourtant dit que cette année serait la bonne. C’était sans compter cet invité surprise- le COVID19- qui aura eu le mérite de rappeler à tous que cette fête inscrite au patrimoine mondiale immémoriale de l’UNESCO annonçait aussi le retour de l’été et des épidémies.
Contre mauvaise fortune bon coeur
A défaut de pouvoir assister en direct au festival, mes collègues chinois ont été bien gentils de ramener une partie du festival à moi, car en dehors des courses de bateaux, il y a d’autres petits rituels associés à cette fête; comme cette vieille tradition perpétuée par le peuple Han. Il avait pour habitude d’accrocher des herbes médicinales ou des herbes parfumées à leurs portes pour purifier l’air et se prévenir des épidémies.
D’autres les faisaient bruler en encens dans des coins de la maison pour chasser les insectes infectieux. Les mamans confectionnaient de petits sacs en tissus qu’elles remplissaient de ses herbes avant de les accrocher aux vêtement de leurs enfants pour garantir santé et protection. Il était également commun de voir le caractère chinois « wang » écrit à l’encre rouge sur le front des enfants pour éloigner d’eux les mauvais esprits.
Avec des collègues au bureau, on s’est donc amusés à confectionner ces petits sacs protecteurs ou de senteurs, que j’ai pris soin de glisser entre mes vêtements à la maison. A défaut de me protéger des maladies, ils auront le mérite d’apporter une senteur particulière à mon linge.
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