Black Lives Matter in China
Vous vous dites peut-être c’est bon là, on a écumé de long en large ce mouvement BLM. Pourquoi en remettre une couche aujourd’hui ? La petite aventure relatée dans ce billet est la preuve que cette mouvance n’était pas qu’une tendance et qu’elle a marquée les esprits à mille lieux de là où on l’attendait.
#BLM
Tout commence par un banal bilan de santé exigé par l’entreprise. Accompagnée d’une collègue chinoise pour me servir de traductrice, nous convergeons vers une petite clinique privée de Shanghai. Nous sommes prises en charge par le personnel très au petit soin. Tout s’enchaîne hyper vite. Je me dit c’est tout à fait normal étant donné que le service coûte un bras dans cette clinique. Deux heures après, c’etait emballé-pesé. Tous nos systèmes physiologiques étaient passés au scanner.
Trois jours plus tard, je reçois un courriel avec mon bilan de santé…Et c’est là que mes ennuis commencent. Certes, on pourrait dire que j’ai eu la moyenne avec 8/10, mais il ne s’agit pas d’une équation mathématique. Dans la constitution biologique de l’être humain, tout est relié et pour un seul système qui déraille, votre corps entier peut s’en trouver déréglé.
Panique à bord
Il ne m’en fallait pas plus pour que je prenne peur et décide d’aller refaire ces examens dans un des hôpitaux les plus prestigieux de Shanghai. Des Chinois viennent de toutes les provinces de la Chine pour s’y faire soigner. D’ailleurs, cela a donné lieu à plusieurs anecdotes plutôt cocasses. On y reviendra dans un autre billet.
Dès l’entrée de l’hopital, je suis eblouie par le mur des docteurs; qui est composé de la liste des specialités et des médécins du jour. Impressionnant! Ma collégue m’aide à evoluer dans ce labyrinthe et je parviens à consulter le spécialiste adéquat et à passer de nouveaux examens. Impossible de s’y retrouver sans des notions de mandarin.
Très rapidement, je recois la conclusion du médecin spécialiste, une operation chirurgicale s’impose. C’est une question de survie. Je panique. Que faire ? me faire opérer en Chine ? Avec tout ce qu’on entends sur la condition des noirs dans ce pays ? Le prix des soins de santé qui est souvent triplé pour les étrangers ? Aucun membre de ma famille présent à mes côtés ? Dans une lueur d’espoir, j’espère que la traduction soit mauvaise. Je demande l’avis d’une connaissance; un médecin cape-verdien qui travaille dans une clinique privée de la place, mais rien n’y fait. Les résultats sont formels et unanimes en toutes les langues.
C’est trop pour moi. J’appelle ma mère, mes soeurs, ma meilleure amie pour m’aider à réflechir à la situation. Mon cerveau est en ébullition. Je me vois déjà faire la UNE des journaux et autres faits divers.
Une Africaine tuée sur une table d’opération en Chine.
Kongossa News
Et comme si ce n’était pas assez stressant et flippant, elles m’ont toutes répondu pareillement :
T’es malade toi?! Tu veux te faire opérer en Chine maintenant? (oui parceque l’idée même d’aller m’y installer leur semblait folle).
Que la Force soit avec moi.
J’ai eu droit aux couplets sur les Africains expulsés pendant la deuxième vaque épidemique de Covid19 à Guangzhou, ou encore sur le prétendu commerce d’organes Hallal dans la minorité chinoise des Ouïghours. J’étais complétement seule, déboussolée mais cette intervention n’engageait que moi et m’était nécessaire.
Je décide de prendre une photo de chacun de mes résultats d’examens et de tous les documents signés avant l’intervention. Une copie est transférée à des personnes de confiance. Je pense avoir sauver ainsi ce qui pourrait être la derniére trace de mon passage en terre chinoise. Paranoïa quand tu nous tiens! Je me disait, au moins si je suis kidnappée ou dépecée, on saura qui sont les coupables.
Le lit de la mort
Mon résultat négatif du test au Covid 19 à la main, j’ai rempli la condition sine qua none pour être admise au pavillon des patients. Débute la prise des paramètres anthropométriques usuels (poids, taille, tension artérielle). A peine j’avais franchi la porte de la salle des infirmiéres, qu’une vingtaine d’yeux étonnés se fixérent sur moi. La Gênance. La minute suivante, c’était le chahut total pour me faire la visite guidée. Escortée par six infirmières toutes emoustillées de voir un spécimen étranger dans leur pavillon, on arrive à la chambre commune que je devais partager avec trois autres patientes – un silence de cimetière à mon entrée – Je commence à me dire que mon séjour va être long, quand je repére une petite mémé sur le lit d’en face qui tente de prendre discrétement une photo de moi. Je vis en Chine depuis deux ans maintenant donc j’ai l’habitude. Je détourne juste mon visage de son objectif.
On m’indique alors que j’occupe le lit en face d’elle: c’est le lit 40. Je vois qu’ils guettent ma réaction et je sais très bien pourquoi, mais je fais mine de ne rien savoir de la tétraphobie* qui régne en Chine et j’accepte de m’y installer. C’est aussi cela l’ADAPTATION.
En effet dans la culture chinoise, le chiffre 4 ( sì ) est un chiffre porte-malheur, car il est homophone du mot « mort » (sǐ).
Les chinois, très supersticieux, préfèrent éviter de retrouver le chiffre 4 dans leur numéro de casier, de téléphone, d’immatriculation, d’étage ou…de lit d’hôpital. Pour moi, il ne s’agissait que d’un lit. Et puis au moins ainsi, j’avais la garantie d’être surveillée de plus près par le personnel médical.
SOS Africaine opérée en Chine
Le Jour J est arrivé, on me conduit au bloc opératoire à 7h du matin. Mon amie Ma soeur d’origine togolaise qui évolue dans la même entreprise que moi, s’est porté garante pour être mon garde-malade. Sa présence me rassure. Elle suit mon brancard jusqu’à ce que les portes ne lui soient plus autorisées. L’opération est sensée durer 3h, mais s’éternise. Après 5h d’attente, ma soeur commence à s’impatienter fortement. Elle s’agite, pose des questions à tous ceux qui passe par là, mais les réponses sont toujours les mêmes : wait (attends); Wǒ tīng bùdǒng (je ne comprends pas); děng yī xià (Attends un instant).
Elle m’avoue s’être demandée si les choses n’avaient pas mal tournées ou si on n’était pas entrain de me vider de tous mes organes pendant qu’elle attendait sagement dans le couloir.
Deux heures plus tard, toujours pas de nouvelles, ça faisait 7h de temps maintenant que j’étais à la merci de leur bistouri. Restée sans nouvelles, les nerfs à fleur de peau, les yeux rouges laissant deviner sa profonde inquiétude, ma soeur bondit sur un n-ième docteur qu’elle voyait se diriger vers un bloc mitoyen. Ce dernier ayant du perçevoir son désarrois, lui répondit avec les yeux souriants par dessus son masque « Black lives matter« ; avant de continuer dans sa foulée, puis il s’arrête à quelques pas, se retourne et la voit prostrée, bouche bée, le cerveau probablement figé par le côté saugrenu de sa réponse. Il relance alors avec le poing en l’air: « Black lives matter in China ». Je pouffe encore de rire quand je la revois me conter cette anecdote. Elle était tombée des nues, mais c’était rassise et avait continué à attendre plus appaisée.
C’est un sentiment de joie, de fierté, de satisfaction, de confiance que j’avais ressenti. Je prenais conscience de l’ampleur du mouvement #BLM. Je suis fière de tous ces chinois qui se montrent amicaux au quotidien. En plus, le service post-opératoire n’a souffert d’aucune discrimination. J’ai reçu les mêmes soins sinon plus, à cause de l’attention particuliére du fait de mon numéro de lit, de ma couleur de peau, de ma maîtrise de la langue anglaise. Je peux dire que j’ai suscité un grand intérêt pour le personnel et les autres patients qui voulaient très souvent échanger quelques mots avec moi. D’aucuns pour pratiquer les notions d’anglais qu’ils avaient glanné ci et là, d’autres pour en savoir plus sur mon pays d’origine – triste de voir que le Cameroun était complétement inconnu au bataillon. Certaines infirmières m’ont confié vouloir partir en mission humanitaire ou en SAFARI en Afrique, mais elles ne connaissaient absolument rien de l’Afrique. Ils étaient même surpris que ma soeur togolaise et moi échangions en français, un médecin m’a demandé si c’était le vrai français de France.
Petits échanges entre amis
Par ailleurs, les infirmières se disputaient à chaque fois qu’il fallait me faire une piqûre ou m’apporter un soin. Elles étaient prêtes à tout pour avoir leur tour. Pour ces jeunes médecins résidents et infirmières, ça devait être un challenge, d’identifier une veine (verte foncée) sur une peau noire ébene. Je les voyait déjà remplir dans la case compétence de leur CV : Maîtrise des injections intra-veineuses sur peaux noires. Définitivement un bonus pour leur futur ambition humanitaire en Afrique. La plupart n’avait simplement jamais vu d’étrangers d’aussi près et encore moins, eu l’occasion d’en toucher. Ils s’en sont donné à coeur joie. Je vous raconterais peut-être dans un autre billet, toutes les anecdotes résultantes de cette exploration.
Mon côté pédagogue les laissa faire et supportait en silence, parcequ’il n’était question que d’apprentissage après tout. Ainsi j’ai consenti docilement à mon role de sujet d’étude pour le bien de la science et des prochaines femmes noires qui passeront par ce pavillon. En plus, ma voisine de lit – me voyant me tortiller comme ver sous sel à cause du lit trop petit, trop dur – s’est donnée pour mission de m’apprendre les bases d’un massage traditionnel chinois pour être plus zen. Il serait utilisé pour activer le sang, renforcer le qi cardiaque et soulager la douleur. Toute une philosophie dont j’ai retenue bien trop peu de choses finalement.
Mon séjour se sera terminé sur cet échange et ce que j’aurais retenue : Il y a la Chine et puis il y a les Chinois, On ne devrait pas confondre les deux.
*La tétraphobie est une aversion ou peur du chiffre 4.
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