Le retour des Mbéa towè
Il y a dix années de cela, elles pointaient leur nez au courant du mois de juillet, pour insuffler un élan identitaire et de retour aux sources. Cette année 2020 est définitivement l’année de toutes les calamités, même les Mbéa towè en poste depuis des siècles et des siècles, semblent trainer des pieds ou plutôt des tarses.
Si vous n’êtes pas Camerounais, d’ethnicité Sawa (Douala), alors vous vous demandez surement qui sont les Mbéa towè. Jusqu’au dernier tweet de l’influenceuse camerounaise Chouchou Mpacko, j’avoue je ne savais pas non plus qui elles étaient. Je m’étais dit : ce doit être un autre cérémonial Sawa, vu que le peuple Duala est connu pour ses festivals culturels tel que le célèbre Ngondo, un festival qui réunit annuellement toutes les tribus côtières du Cameroun.
Bien que Camerounaise ayant vécue toute ma vie au Cameroun, je ne voyais pourtant pas de quoi Chouchou parlait, et toute l’ébullition de la sauce Twitter autour de ce sujet, aiguisait de plus en plus ma curiosité. Alors, j’ai tapé sur Google « Mbéa towè » et mon ignorance a été balayée.
Les Mbéa towè ne sont rien d’autre qu’une espèce de crevettes. Ces célèbres crevettes qui ont donné leur nom à ce beau pays qu’est le Cameroun. Elles apparaîtraient à la fin de la saison des pluies (qui s’étale de juillet à septembre) et seraient l’unique produit en vente sur un marché de fortune, créé sur le pont du Wouri, dans l’unique but de ravitailler les riverains. Ces derniers savent qu’ils ont dès lors 2 à 3 jours pour faire le plein de ces crustacés qui partent comme des petits pains. Si pour les Duala, l’arrivée de ces crevettes marque un nouveau cycle de prospérité et fait partie de leur patrimoine culinaire et culturel, le reste du Cameroun ne semble pas avoir intégré l’enthousiasme autour de l’arrivée des Mbéa towè, de même que le caractère historique qui s’y rattache.
Des crevettes à l’origine du nom même du Cameroun
À l’école, on nous a toujours rabâché que le nom de notre pays venait de l’expression « RIO DOS CAMAROES » formulée par le navigateur portugais Fernando Po en 1472. Lorsqu’il débarque sur sa caravelle, par l’estuaire de la rivière Wouri, il remarque une abondance flagrante de cette espèce de crevettes et décide de nommer ce cours d’eau Rivières des crevettes (Rio dos Camaroes), qui va donner en anglais Cameroon, en allemand Kamerun et puis en français Cameroun. Tout Camerounais qui a fait son cycle primaire saura vous compter cette histoire, mais combien sauront vous donner l’appellation locale Mbéa Towè qui se traduit littéralement par « divinités à ramasser ».
Sur Twitter, un internaute explique :
Selon une version ancienne, le peuple sawa qui vivait essentiellement de la pêche et de la chasse, avait été frappé par une grande famine. Sans poissons, ni gibiers, ils entament de nombreux rites et prières pour implorer le soutien des Dieux. Le Dieu Nyambè décida de leur répondre en envoyant une mane — les Mbéa Towè. Tout le fleuve Wouri en était recouvert un beau matin. En guise de remerciement, les chefs décidaient de réunir tous les pêcheurs afin de leur donner l’instruction de ne pas commercialiser ce don précieux. Ils devaient ramasser juste ce qu’il leur fallait pour eux et leur famille, et s’ils en avaient trop, il devaient déposer le surplus au bord de la rivière afin que d’autres viennent se servir.
@franckKoum sur Twitter
Comme le narrateur de cette légende, je pense que c’est dommage que cette notion de partage se soit perdue. Ces bouts de notre histoire devraient être intégrés dans nos programmes scolaires. Dommage que nous n’ayons pas de cours qui nous dévoilent toute la richesse de notre patrimoine culturel.
Qu’est ce que la culture aujourd’hui?
Combien sauront vous dire que les peuples du littoral attribuaient l’abondance de ces crevettes à la générosité de la divinité des eaux qu’ils vénéraient et remerciaient par des rites ?
Que savons-nous encore de ces divinités aujourd’hui ? Pour ma part, exceptées les histoires macabres de Mami Wata, sirène des eaux qui charment les égarés avant de les noyer, je ne sais rien. Cela fait pourtant partie de notre identité culturelle en tant que Camerounais. J’entends « culture » selon la définition qu’en fournit Wikipédia, que voici :
En philosophie, le mot culture désigne ce qui est différent de la nature. En sociologie, comme en éthologie, la culture est définie de façon plus étroite comme « ce qui est commun à un groupe d’individus » et comme « ce qui le soude », c’est-à-dire ce qui est appris, transmis, produit et inventé.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Culture
De nos jours, notre identité culturelle est malheureusement réduite à des tenues ou des plats traditionnels.
Tenue traditionnelle Bamileke-Ouest Cameroun Photo by Ethan McArthur on Unsplash
L’arrivée des autres religions nous aura-t-elle coûté notre culture?
Les cultes autrefois voués à la généreuse donatrice de cette fameuse espèce de crustacés appelées Nyambé yatowè ou Mbéa towè (forme contractée et plus usuelle), n’existent plus aujourd’hui. Serait-ce là une des raisons pour lesquels les Mbéa towè se font de plus en plus désirées aujourd’hui? Avec le christianisme, tous les rites ancestraux ont été taxés de démoniaques, de pratiques barbares, pourtant on reproduit les mêmes gestes sous d’autres appelations plus catholiques. Dans ces contrées, les rites de remerciement pour les dons de la nature et la culture du partage sont passés aux oubliettes, la pratique de la pêche pour le commerce est en plein essor.
Pour probablement tous les autres cartésiens qui me liront, le retard des Mbéa Towè cette année serait surtout attribué au changement climatique, à la surexploitation ou aux inondations.
Petite parenthèse à ce sujet : c’est quoi le soucis avec les inondations en 2020 ? C’est fourni en full package avec le coronavirus ? J’en vois partout dans les médias. Shanghai, Lagos, Cotonou, Abidjan, Accra… à croire que toutes les régions du globe sont en prise à des inondations… La ville de Douala étant également sur la liste des immergées, elle enregistre des niveaux d’eau records, des inondations à nulles autres pareil, ce qui a probablement contribué aussi au retard des Mbéa towè cette année.
Pour mes frères et amis Duala, merci de m’avoir fait découvrir un pan de notre patrimoine culturel que j’ignorais. Bon Appétit à tous les enfants du fleuve.
Ne dit-on pas qu’après la pluie vient le beau temps.
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