Cameroun : les francophones découvrent avec horreur la crise anglophone
À force de voir les choses, on ne les regarde plus.
Francis Ponge
Cette citation de Francis Ponge résumait bien le quotidien des Camerounais avant que l’impensable ne se produise le 24 Octobre 2020. Avant qu’au moins 6 enfants ne soient massacrés et qu’une douzaine d’autres ne soient grièvement blessés lors d’une attaque sur leur école à Kumba dans le NOSO*. Les photos et les vidéos des parents en pleurs, des petits corps déchiquetés sans vie, sont insoutenables. Dans la diaspora, ce théâtre de l’horreur n’a laissé personne insensible. On est réellement inquiets de la situation dans notre pays, on prends conscience du visage macabre et laid que peu prendre une guerre, surtout on prends réellement conscience que le Cameroun est en guerre.
24 Octobre 2020, un tournant décisif
La crise anglophone, ça va faire plus ou moins 4 ans qu’on la voit, ou plutôt qu’on l’entends, sans vraiment y prêter grande attention. À part faire l’objet de débats politiques où les uns et les autres se renvoient la patate chaude, la partie francophone n’avait pas vraiment conscience que c’était littéralement la GUERRE. Ces vidéos atroces auront au moins servi à ça.
Le Cameroun francophone (8 provinces/10), n’avait jamais vraiment ressenti cette crise, d’ailleurs les anglophones ont pour habitude de dire qu’on s’en fout. Et ils n’ont pas complètement tord. Les francophones se font une idée de l’ampleur du conflit, en fonction des grands titres des journaux et des contrôles intempestifs de pièces d’identité dans les rues. On apprenait ci et là que l’armée avait tué des séparatistes ou encore qu’un gendarme s’était fait tué dans cette région. Il s’agissait de soldats, alors la chose passait sans trop faire de bruit. Excepté pour les familles endeuillées; le reste du pays continuait de vivre avec des oeillères, dans un monde de bisounours où règne la paix. Cette crise très peu couverte médiatiquement, paraissait si lointaine qu’elle en était devenue invisible.
Aujourd’hui, une attaque monstrueuse perpétrée sur des innocents a eu le mérite de choquer tout le monde, jusqu’aux tréfonds de nos contrées. Cette ignominie fait l’objet d’une hype* depuis hier, tous les réseaux que les Camerounais pratiquent sont innondés de hashtags, certes facilement calqués sur la crise au Nigeria, mais au moins ils sont là. #EndAnglophonecrisis #EndWar #JesuisKumba… Le copié-collé avait commencé un peu plus tôt déjà, avec les récentes manifestations contre les maltraitances policières. À croire qu’avant cela, on avait jamais eu de crise au NOSO. Le soutien se faisait assez timide. Pourtant, on l’a vu se profiler au loin cette guerre, faire parler d’elle de temps à autre, mais sans jamais se l’admettre. C’était plus facile de nous dire, c’est chez le voisin, ça ne nous regarde pas vraiment ou encore les anglophones sont toujours à gauche. Du côté francophone du pays, on a cruellement manqué d’altruisme.
Il aura fallu que des stars locales et des personnalités internationales telles que Davido, Burna Boy, Rihanna ou encore Beyoncé, signifient leur soutien au Nigéria, pour que les Camerounais assument de plus en plus leur guerre sur les réseaux. Du côté des terroristes qui ont commis cet acte de barbarie, ils ont dû se dire que c’était le bon timing pour lancer un pavé dans la marre. Malheureusement ce sont d’innocents enfants qui paieront le prix fort de cette joute socio-politique.
Si on t’explique le Cameroun et tu comprends, alors on t’a mal expliqué
Sournoisement, on s’est toujours contenté des débats houleux sur facebook. Aujourd’hui, on invective nos artistes qu’on trouve tout à coup médiocres, amorphes ou peureux. Au final personne n’endosse de responsabilité, personne n’est prêt à bousculer son quotidien pour arrêter cette guerre. On se contentera encore et toujours de débats débridés sur les réseaux sociaux, bien à l’abris dans le confort de notre canapé.
À Yaoundé et dans les autres métropoles, on dormira sur nos deux oreilles, bercés par un sentiment de quiétude puisqu’on est pas touché. On s’entichera encore et toujours de nos petits soucis personnels, qu’on va noyer dans des After-work, sans trop houspiller. On postera un hashtag citoyen et solidaire de temps à autre, pour se donner bonne conscience, sans que cela ne nous engage en rien.
Du fait d’avoir une partie de ma famille résidant dans la zone anglophone, j’ai vite désenchantée, indirectement témoin des répercussions de cette guerre dont on suppute encore l’existence. J’ai vu toutes mes cousines accourir sur Yaoundé et Douala, mes voisins anglophones héberger du jour au lendemain, une dizaine de marmots que les parents voulaient absolument éloigner de la zone de conflit.
Si vous avez un bon ami anglophone, il vous aura surement demander d’héberger un de ses proches le temps que les choses se tassent. De nombreuses jeunes filles se sont retrouvées à la rue dans les grandes villes, quand elles n’étaient pas obligées d’effectuer des métiers de serveuses, de femmes de ménage ou d’apprentis dans des salons de coiffure où elles se font honteusement exploiter en échange du git et du couvert. À Yaoundé, Douala, Bafoussam, plusieurs foyers profitent allègrement de cette main d’oeuvre sans recours. J’ai vu tout cela et pourtant je n’avais toujours pas conscience que c’était la guerre.
Aujourd’hui des enfants sont morts, ils ont été tués par des coups de feu et des attaques à la machette. Des gamins de 9 à 12 ans, quelle horreur!
Après 4 ans de massacre, de kidnapping, de déplacement de population et de destruction de villages entiers, il était temps que la lumière soit mise sur la crise au NOSO. Il est plus que temps que les francophones se reveillent et apportent un réel support aux régions anglophones qui endossent seules le tribu de ces atrocités.
Des solutions?
Comme une chanson populaire le dit: Si mon voisin fait un truc qui me wanda, je triche! On est en plein dans cette partie de la chanson. Le Nigeria a fait sa part, ça nous a rappelé qu’on avait un conflit sur le feu et ça nous a montré à quel point la voix de la rue compte. On l’avait presque oublié.
J’espère que cette fois, on saura monter au créneau et qu’il ne s’agisse plus d’une simple tendance qui s’évanouira dans une semaine ou deux. On se demande sérieusement quels sont nos moyens d’actions pour stopper ce désastre? Pour les Camerounais de la Diaspora Chinoise, se rendre utiles passe par des aides humanitaires, des dons destinés aux Camerounais déplacés à la frontière du Nigéria. On se passe le mot, cotise ce qu’on peut et espère que les autres suivront le mouvement, si ce n’est déjà fait.
Sur facebook, on peut voir d’autres propositions timides mais intérêssantes, qui suggèrent de ne pas emmener les enfants à l’école ce lundi 26 Octobre par solidarité symbolique pour les parents de Kumba dont les enfants ne pourront plus jamais y aller. Un Lundi Noir pour montrer à nos frères anglophones qu’on est ensemble dans cette crise, qu’on a enfin ouvert les yeux.
Cependant, tous les Camerounais restent décontenancés de voir la retenue de la première chaîne de télévision du pays – CRTV – sur cet événement, comme si rien de grave ne s’était passé, à la limite ce serait la faute de l’école « Le collège Mother Francisca fonctionne dans la clandestinité depuis la dernière rentrée scolaire.. » Comme s’il y avait encore moyen de nier l’existence ou de minimiser l’ampleur de cette crise dans le NOSO. Une chasse aux sorcières est ouverte, mais ce qu’on a vu ce 24 Octobre, on ne pourra jamais l’oublier.
Comment les anglophones ne se sentiront pas marginalisés et oubliés quand 48h après le drame, le mot de soutien de la part du Président de la République se fait toujours misérablement attendre. Pour le moment, on se contentera d’un point de presse du Ministre de la Communication, d’un tweet d’indignation du Ministre de la Santé Publique et de la promesse du Premier Ministre du gouvernement d’envoyer une délégation interministérielle adresser les condoléances de la part du peuple Camerounais aux familles endeuillées.
*hype: adjectif et nom féminin, anglicisme qui signifie La dernière mode
*NOSO: Nord-ouest/Sud-Ouest Cameroun
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